Wistiti Fosi
Lorsqu’il se réveillait en ce samedi matin, Wistit était excité comme une puce. Ça faisait une semaine qu’il attendait ce moment, une semaine qu’il ne dormait plus, ne mangeait plus, à l’idée de rejoindre ses copains footballeurs. Ses vêtements étaient soigneusement rangés au pied de son lit, depuis 5 jours qu’il les avait lavés, repassés, relavés et re-repassés. « Ils vont voir qui c’est le plus beau ! », se répétait Wistit en boucle tout en ricanant devant le miroir de sa salle de bain.
Samedi matin, donc, c’était le grand jour ! Wistit bondissait de son lit à 6 heures pétantes, attrapait ses vêtements et les serrait forts contre lui, les yeux revanchards. Il faut dire qu’il n’avait toujours pas digéré ce jour où l’on s’était moqué de son pantalon de costume trop large et trop long. Lui qu’on appelait « le dandy Tourangeaux » il n’y a encore pas si longtemps, à l’école élémentaire Claude Pivonniers de Tours, allait leur montrer de quel bois il se chauffait… à commencer par ce connard de Gayo qui n’arrêtait pas de le chambrer alors que lui-même ne manifestait aucune singularité, aucune originalité ni aucune classe dans son style mono-Lacoste. « Lacoste mon cul ouais ! » se disait Wistit. Wistit se pressait donc d’enfiler un pantalon sobre : pantalon à carreaux écossais rouges mauves gris turquoises. Craignant de nouvelles boutades, il s’assurait qu’il était bien cintré et mettait bien son petit cul en valeur. Venait ensuite le moment de passer sa chemise à rayures Celio que sa mamie lui avait offert au Noël dernier, ainsi que son gilet Tex qu’il avait acheté chez Carrefour et pour lequel il n’avait pas hésité à claquer 18 €. Pour les chaussures en revanche, Wistit n’avait toujours pas fait son choix. Il hésitait entre des Timberland en daim dont la grosse semelle le grandissait un peu, des sandales à lanières marron pour faire plus décontract, ou encore des mocassins imitation Répéto en vinyle argenté pour en mettre plein la vue. Finalement, Wistit optait pour des Caterpillar à coques dures afin d’en imposer un max. Il ne restait plus à Wistit qu’à enfiler son ciré beige d’inspecteur et ça y est, il était prêt. Seul problème, il n’était que 6h28 et le match était prévu pour 17h30. Après une heure de réflexion, Wistit se mettait à ricaner bêtement en voyant le reflet de sa boite à bédo dans l’étui de son briquet OM… « mais je suis bête ! hi hi hi ! je vais me rouler un gros splif ! hi hi hi ! ». Wistit se roulait donc un petit 5 feuilles royal : afghan-skunk-africaine-thaï-pollen arrosé à la poire que son ami Mathias n’avait pas finie la veille. Il pensait déjà à la tête médusée de ses copains du H quand ils verraient le look qu’il arborait désormais. Pour fêter ça, Wistit se roulait un 2ème petit 5 feuilles. Vu qu’il lui restait encore 6 heures à attendre, il décidait de se mater l’intégrale des sketches de Lagaf’ : « je suis conscient que j’ai encore quelques failles niveau blagues », nous confiait Wistit avec grande humilité, avant de poursuivre : « autant niveau look vestimentaire, je suis au top, autant pour les vannes, je suis encore un peu limite ! Hi hi hi ! ». Il est vrai que Wistit avait déjà utilisé la blague du « Hools » à maintes reprises. Après l’avoir déclinée pour « faire le hools à la touche », « faire le hools à l’abribus », « faire le hools sur son velib » ou encore « faire le hools à la piscine », Wistit se devait de trouver une autre vanne pour animer le forum et forcer un peu plus l’admiration de ses copains. « Je crois que je viens d’en trouver une pas mal ! », s’enthousiasmait-il alors en voyant le post de Gilou sur l’obtention du Doctorat de Marion. « Je vais l’appeler Marion « Ravenwood » ! Hi hi hi ! ». Une blague dont il n’était pas peu fier, et avec laquelle il se voyait déjà envoyer des « une pinte de chouffe Ravenwood ! » à l’Abribus, ou des « aux chiottes le Ravenwood ! » en cas de désaccord avec le corps arbitral. Quoiqu’il en soit, les DVD de Lagaf l’inspiraient grandement. « Quand j’irai aux chiottes de Paul Valery, je reviendrai en criant « il est beau, il est beau, il est beau le lavabo ! » », avant de s’esclaffer d’un « et il est le laid le bidet ! Hi hi hi ! ».
Rassuré par son nouveau look et ses nouvelles vannes, Wistit prenait la direction de Paul Valery avec 2 heures d’avance. « Au pire si je m’ennuie, je ferai le hools dans le métro ! Hi hi hi ! », se disait-il. Son bézenville Ted Lapidus en bandoulière, Wistit s’en allait donc avec du baume au cœur… « à défaut de baume du Tigre ! Hi hi hi ! ». En passant devant l’épicier de Porte Dorée, il hésitait à acheter quelques bananes pour les lancer sur les joueurs au cas où ils joueraient comme des bananes. Mais à 5 euros le kilo, « ça faisait cher la blague ! », se ravisait finalement Wistit.
2 heures plus tard, en voyant arriver Benj, Wistit bombait le torse et lui lançait tout sourire : « Vu comment tu nages dans ton pull trop large, j’espère au moins que tu sais nager le crawl ! Hi hi hi ! ». Conscient d’avoir cassé Benj de toute beauté, Wistit enchainait par un « Et ton jogging Mathias, tu le mets aussi pour les mariages ? Hi hi hi ! ». Décidément en grande forme, Wistit enfonçait le clou en voyant Momo arriver avec 45 minutes de retard : « hey Momo ! A à ta naissance aussi, t’es arrivé avec 3 mois de retard ??? Ta mère a dû faire la gueule ! hi hi hi ! ». Momo n’ayant rien entendu, Wistit prenait ça pour une victoire et pouvait se gargariser d’une telle répartie. Mais en voyant arriver Flo de Paris Nord, avec sa nouvelle coupe de cheveux rasés, Wistit avait soudain un doute : « Vu qu’on s’appelle tous les 2 Flo et qu’on a tous les 2 la classe, je vais peut-être me faire la boule moi aussi ? », se demandait-il. Mais Wistit n’avait pas le temps de trouver une réponse qu’on l’appelait aussitôt pour faire la touche.
Pour la 1ère mi-temps, Wistit allait donc se placer en juge de touche avec la tête encore ailleurs. « Faut que je fasse gaffe que les billes noires du terrain défoncent pas mon ourlet », se disait le Dandy Tourangeaux. Mais l’arbitre le rappelait à l’ordre et lui demandait une concentration optimale. Désormais, fini le stylisme et la mode Wistitienne. Fini les blagues et les vannes désopilantes. Fini aussi de faire le hools. Il s’agissait d’un derby et Wistit en avait bien conscience. Un « derby-te en bois», avait-il envie de balancer, avant de se reprendre et de rester dans son match.
Un match qui débutait tout de suite bien pour le HBFC. Gardant le pied sur le ballon, les rouges et noirs proposaient quelques phases offensives intéressantes. De belles transmissions, de belles percées. Arrivait alors ce qu’on attendait tous : Mathias lancé en profondeur par 2 fois ! 2 face à face très prometteurs, mais où Mathias finissait malheureusement par s’emmêler les pinceaux. Puis, un 3è face à face plus réussi : Mathias parvenait à trouver un angle de tir intéressant, pour une frappe sèche croisée, puissante, dans le petit filet. Malheureusement, le gardien adverse l’effleurait juste ce qu’il faut pour la dévier sur le poteau : un intérieur du poteau qui donnait l’impression à tous que le ballon allait rentrer, alors qu’il se contentait de longer la ligne de but et sortir. Terrible déconvenue. Terrible manque de réussite. Qu’à cela ne tienne, dans la foulée, un corner très bien tiré par Guillou, pour une tête intéressante qui aurait pu faire mouche… et qui aurait même pu « faire mouche tsé-tsé », se disait Wistit. Mais cette action est à signaler, car autant on est toujours en danger sur coups de pied arrêtés adverses, autant on ne crée jamais aucun danger sur nos coups de pieds arrêtés à nous. Très peu de présence dans la zone de vérité, un sous-nombre logiquement synonyme de stérilité offensive. Exemple criant de ce manque de présence et de cette impuissance sur coups de pied arrêtés : le coup-franc tiré par Malik, avec 1 rouge pour 4 blancs dans la surface de Paris Nord, et ledit Malick qui crie « Il est où Benj ? ». Malheureusement pour lui, Benj était toujours sur le banc… le coup-franc ne donnait rien, il ne trouvait même aucun rouge.
A signaler ensuite, une belle frappe de Momo, pied droit, tendue, juste au-dessus.
Juste après, Polo devait sortir (au bout de 15 minutes). Il aura juste eu le temps de nous gratifier de ses prises de balles autoritaires, de petits crochets-rateaux le long de la touche pour un centre intéressant, avant de laisser définitivement sa place pour cause de cheville capricieuse.
C’était alors à Nicoprez de s’employer, pour une entrée en jeu difficile par ce grand froid. Nicoprez était tout de suite mis en danger par le numéro 8 très inspiré de Paris Nord. Venait ensuite cette action symptomatique de Nico : un ballon en profondeur pour l’attaquant adverse, un ballon qui prenait la direction du crâne de Nico, qui n’avait qu’à toucher pour éviter le danger… mais un Nico qui préférait enlever sa tête au profit d’une montée de jambe très gracieuse mais très inefficace, puisque Nico se trouait et laissait passer la balle. C’est un un contre un qui se profilait. Ludo se couchant tard, il obligeait l’attaquant adverse à glisser un ballon vicieux sur sa gauche, à ras de terre. La balle heurtait le poteau mais, contrairement au poteau de Mathias, cette fois le ballon revenait pile sur l’attaquant adverse, qui n’avait plus qu’à le pousser dans le but vide, avec un Ludo à terre et un dernier défenseur encore très loin. Inexplicablement, l’attaquant adverse envoyait le ballon à côté du poteau, pour une sortie de but improbable. 2 occasions nettes en 1, on peut dire qu’on s’en sortait bien.
Venait alors le passage à vide du HBFC. Au moins 20 minutes de houra football, avec uniquement des actions subies sur coups de pieds arrêtés : corners, coups-francs, tout y passait, et on frôlait la correctionnelle à chaque fois. Toujours en sous-nombre, les rouges et noirs laissaient des espaces terribles et le ballon fuyait nos filets de façon assez surprenante. Sur le banc de touche, on frémissait de froid comme de peur. Sur le terrain, les joueurs du H se prenaient, comme toujours quand ils n’y arrivent plus, pour des professionnels du stand up : un peu comme au Jamel Comedy Club, chacun y allait de sa petite vanne, de son petit mot spirituel pour commenter le raté de ses camarades : « bougez-vous le cul » ou « sortez-vous les doigts » pour les moins inspirés, ou encore des « oh ! On dirait des santons ! », « c’est quoi cette frappe de pupille ? », ou « tu veux pas prendre des photos tant que tu y es ? » pour les plus imaginatifs. Sur la touche, Wistit tentait de se remémorer une vanne lue sur le forum pour y aller lui aussi de sa petite boutade. Après avoir tenté un « vous êtes lents comme des limaces » et un « bougez-vous le cul bande de culs de jatte », sans succès, Wistit préférait miser sur un grand classique : « arrêtez de faire vos hools et bougez-vous ! hi hi hi ! ». Finalement, tous ces mots d’esprit ne changeaient évidemment rien, au contraire ils amenaient plus de nervosité. Acculés sur nos cages, on s’en remettait aux dernières courses salvatrices d’Arthur, ou alors à Ludo qui se prenait quelques petites charges mais tenait bien malgré quelques dégagements et prises de balles douloureuses pour son pied.
Le HBFC continuait de balancer devant comme il pouvait pour se défaire de la pression de Paris Nord. Des dégagements sans rien construire derrière. Des passes dans le dos, à côté, ou en touche. On voyait une équipe coupée en 2, avec une défense extrêmement basse qui hésitait à monter en cas d’attaque, comme s’ils avaient accepté l’idée de devoir passer leur temps à défendre. Puis un petit miracle. Sans explication aucune, quelques passes finissaient par être bien assurées, les transmissions étaient meilleures, quelques ballons se remettaient à tourner derrière quand on n’avait pas de solution devant, plutôt que d’être balancés bêtement à l’adversaire… et c’est tout un groupe qui reprenait confiance. C’est sur cette fin de mi-temps plus qu’honorable que le HBFC s’apprêtait à rentrer aux vestiaires.
Mais l’arbitre, qui avait besoin d’asseoir son autorité, donnait l’ordre assez étonnant de rester sur le terrain sous peine d’annuler le match. Et sûrement pour être à l’heure à son rendez-vous à l’Hippopotamus de Pontoise, il décidait de réduire la mi-temps à 5 minutes de pause…
Tout cela nous était préjudiciable car on attaquait ensuite la 2nde mi-temps encore très éprouvés. Pas eu le temps de se remettre de nos émotions, de faire le point sur nos temps faibles et de repartir sur de bonnes bases. Au contraire, on retournait dans nos travers… « nos travers de porc », se disait Wistit sur la touche, « hihi hi ! ». On voyait encore un nombre d’occasions assez élevé pour Paris Nord, dont 2 très nettes. D’abord ce centre tendu qui finissait inexplicablement dans les bras de Ludo, alors qu’il y avait du monde pour recevoir une offrande au centre, sans être inquiété par qui que ce soit. Puis ce cafouillage monstre sur corner, un ballon à 1 mètre 50 de la ligne qui devait finir dans nos filets mais qui, on ne sait trop comment, se faisait dégager en touche… Une fois de plus, le HBFC laissait passer l’orage, et c’est sur une action venue de nulle part qu’il faisait la différence. Un Esspert rentré en cours de jeu, qui avait mis du temps à se mettre dans le match, et qui soudain se retrouvait lancé côté droit. Plusieurs options s’offraient à lui, et c’est finalement sur ce qu’on croyait être une frappe ratée que l’esspert faisait la dif : il adressait en fait une passe appuyée au 2ème poteau, là où le dernier défenseur était trop court, là où le gardien n’avait pas le temps de revenir, et là où Mathias attendait de mettre une mine en rupture, in extremis, au ras du poteau.
Cela faisait 1-0, ce n’était pas un scandale au vu du match en général, mais c’était quand même très heureux et presque chanceux au vu des occasions nettes de Paris Nord. Ce 1-0 mettait un coup au moral terrible à Paris Nord. Le HBFC reprenait évidemment le contrôle du match et mettait un peu plus le pied sur le ballon. Les changements de joueurs incessants avaient le don de casser le rythme, d’énerver Paris Nord et de laisser filer les secondes. Le HBFC offrait bien sûr à Paris Nord l’occasion de revenir à 1 partout, mais un manque de hargne faisait cruellement défaut aux noirs et blancs. Une espèce d’acceptation de la défait qui nous arrangeait bien. Une certaine naïveté aussi. Lors d’un énième changement, Nicoprez faisait son entrée sous les rires et les moqueries de tout le monde. Et pour cause… le Prez rentrait en position d’attaquant, rien que ça ! Ses grands compas faisaient le pressing devant et avalaient les espaces un peu dans le vide, il faut bien le dire, mais au moins il était présent. Wistit y allait de son « Allez le hools, fais-nous ton Nico Anelka ! Hi hi hi ! ». Et il ne croyait pas si bien si dire, puisque dans la foulée, le Prez récupérait un ballon et se faisait lancer en profondeur, plein axe. Sous les encouragements de tous, « cours Nico, cours ! », le Prez s’enfonçait dans le dernier rideau défensif de Paris Nord. Levant la tête toutes les 2 secondes, peu habitué à ce genre d’actions, un peu déboussolé, le Prez ne perdait pas le Nord pour autant, « et encore moins le Paris Nord ! », se disait Wistit, « hi hi hi ! ». Le Prez allait fixer ce dernier défenseur avant de glisser un caviar à ras de terre sur Guillaume. Tout le monde s’attendait à voir Guillaume frapper en lucarne sans contrôle, comme à l’entrainement, mais Guillaume préférait prendre le temps de contrôler et d’ajuster sa frappe. Un temps qui aura failli lui être fatal, car le pied d’un défenseur revenu à la hâte venait effleurer son ballon, l’effleurer juste ce qu’il faut pour lober le gardien sans pour autant partir en drop. Imparable. Cela faisait 2-0, la messe était dite, comme diraient Thierry Larqué. Désormais, le match pouvait se finir en toute décontraction, les supporters du HBFC se permettant même le luxe de chambrer l’arbitre, lui qui avait été si intellectuellement défaillant 90 minutes durant. Tout le monde étant épuisé et masquant ses crampes tant bien que mal, le coup de sifflet final retentissait comme un soulagement.
Le dernier mot revenait finalement à Wistit qui, avant de quitter le stade Paul Valery, criait haut et fort en direction des joueurs de Paris Nord : « Au moins avec ce 2-0, vous serez rhabillés pour l’hiver ! hi hi hi ! ». Malheureusement, Wistit avait mis un peu trop de temps à trouver la vanne dans les vestiaires, puisque les joueurs de Paris Nord étaient déjà rentrés chez eux… Dommage.
Moralité : un 2-0 plutôt mérité, mais très pénible, dans la douleur, et surtout plein de réussite. N’importe quel grain de sable aurait très bien pu provoquer un 1-1 qui aurait frustré tout le monde. Il n’en est rien, mais il faut le garder en mémoire pour samedi prochain : rester humble, savoir rester patient en cas de coups durs, ne pas tomber dans la facilité de l’insulte quand ça va mal (et qui ne sert à rien).