C’est d’un pas sautillant et le regard guilleret que Nicoprez quittait son travail de chez Axa Assurance ce mercredi soir. Il faut dire que ce soir-là, il avait décidé d’être à l’heure à l’entrainement du HBFC. « Ben alors Monsieur Brauchli, vous me quittez déjà ? », lui lançait amoureusement Jessica de l’accueil tout en mâchant son chewing-gum et en refaisant sa french manucure fushia à paillettes dorées. Monique, de la compta, s’était contentée de lui lancer un simple « Eh ben ! 17h12 : y en a qui se font pas chier ! ». Il est vrai que Nicoprez partait ce soir-là avec une grosse heure et demie d’avance par rapport à son planning habituel. « L’heure, c’est l’heure ! Je vais leur montrer qui c’est le patron à ces petits cons du H ! » se disait-il en enfourchant virilement son Burgman tout en prenant soin de ne pas s’écraser un testicule comme la dernière fois où il voulait impressionner Jessica. L’œil alerte malgré ses feux de signalement avant et arrière éteints et son téléphone coincé sous le casque, il prenait la direction du périph en klaxonnant de joie (pour déconner). Comme souvent, il se faisait insulter 3 ou 4 fois sur le chemin au motif qu’il roulait à 30 km/h sans jamais s’arrêter aux feux : « c’est pour économiser un peu d’essence », se justifiait-il en grillant un nouveau feu.
A 18h pétantes, Nicoprez arrivait enfin à Louis Lumière. Le temps de repasser chez lui chercher ses crampons oubliés, d’y retourner chercher les chasubles oubliées, de faire un arrêt chez Speedy pour changer la bougie de son Burgman, il arrivait finalement à Louis Lumière avec une bonne heure de retard. Peu importe, avec un bon mot et une petite boutade glissés pour chacun, personne n’y verrait que du feu… Il laissait son scoot négligemment sur le trottoir et se précipitait d’instinct dans le vestiaire 31 sans même demander le numéro au gardien. Il ouvrait alors la porte en s’écriant, très essoufflé, « excusez-moi du retard les gars, une urgence au boulot ! », avant de faire semblant de raccrocher son téléphone éteint. Il se posait machinalement sur le banc et commençait à enfiler son survêtement marron Tacchini, son justaucorps vert fluo, son maillot PSG Liptonic et ses chaussettes trouées lorsqu’un doute gagna son esprit. Autour de lui, il ne voyait que Hugo et personne d’autre. « Il y a du monde sur le terrain ? », se hasardait-il à lui demander d’un air lucide et perspicace. Hugo, encore tout emmitouflé dans sa doudoune North Face dont il cherchait à rentabiliser les 690€ claqués malgré les 25°C dehors, ne répondait pas. Le nez plongé dans le catalogue Kiloutou qu’il venait de voler, il se demandait quel marteau piqueur il allait bien pouvoir prendre pour refaire les fondations de sa salle à manger. Revenant soudain à lui en sentant l’odeur d’un pain au chocolat vieux de 5 jours dans la poche de Nicoprez, il lui répondait d’un simple « nan », les yeux rivés sur le pain au chocolat. Nicoprez lui renvoyait alors un rire bien gras de circonstance, avant de se raviser en comprenant qu’il n’y avait rien de drôle. Mais le détachement de Hugo lui mit soudain un doute : « tu veux dire qu’on n’est que 2 ? », demandait-il toujours aussi lucide. L’affirmative de Hugo plaçait Nicoprez dans l’embarras. Lui qui avait prévu de frapper un grand coup, de taper du poing sur la table et de rappeler chacun à ses obligations quant aux cotisations non payées, aux retards répétés et au manque d’investissement dans la vie du club, restait bouche bée. Il rangeait discrètement le discours qu’il avait préparé dans sa poche, en prenant bien soin de cacher les mots « Je vous ai compris » et « J’ai fait un rêve » qu’il avait choisis en titre. « Ah », concluait Nicoprez en se raclant la gorge pour se donner une contenance. Mais une idée lui traversait soudain l’esprit : « et si on faisait un tennis ? ». « Pas bête ! », répondait Hugo en refermant son Kiloutou à la page Bétonnière à moteur électrique monophasé à 35€ par jour (hors taxes).
Et voilà nos 2 compères qui prenaient clopin-clopant la direction du terrain de tennis. Nicoprez avait repris espoir, ce mercredi soir serait de toute façon placé sous le signe du sport, de l’abnégation et de la fraternité comme il l’avait décidé. Et puis au pire, il pourrait toujours réciter son discours à Hugo, en le regardant droit dans les yeux, l’index pointé en l’air. Mais une fois arrivé sur le terrain de tennis, voyant qu’il était en grande partie occupé par les containers des ouvriers du stade, l’optimisme de Nicoprez en reprenait un coup. Voyant qu’il n’était pas éclairé, il en reprenait même un sacré coup. Et c’est en voyant qu’ils avaient chacun oublié leur raquette de tennis que Nicoprez comprenait définitivement que la partie de tennis n’aurait jamais lieu. Quelle déception ! « Bon ben, on n’a qu’à aller à l’Abribus ! », proposait Nicoprez, toujours très prompt quand il s’agissait de s’en glisser une sous le gosier. « Ouais » répondait Hugo toujours très détaché. Et les voici repartis en direction du célèbre fief du HBFC.
Malgré une entrée tonitruante dans le bar ponctuée d’un « voilà les artistes, faites chauffer le bab’ ! » pour épater Tina, Nicoprez se prenait un vent significatif. Tina licenciée, Khalef démissionné, les 2 artistes du H se trouvaient nez à nez avec le patron antipathique de l’Abribus, qui leur rétorquait un simple « c’est pour dîner ? ». Jamais à court de blague, Nicoprez tentait un « non c’est pour un tennis connard », en référence au sketch de Jean-Marie Bigard dont il était fan, et aussi à leur mésaventure tennistique du soir. Manquant de se faire virer du bar, Nicoprez optait pour une tournée générale à tous les gars du comptoir et entamait sa folle soirée avec Hugo. Ce dernier lui parlait de ses douleurs au genou, de ses difficultés pour cicatriser, de ses doutes, auxquels Nicoprez essayait de répondre avec compassion en parlant de ses problèmes de psoas. « Tu vois, on est pareils tous les 2, toi c’est le genou, moi c’est le psoas, mais on est fréros finalement ! Allez, je te repaie une Chouffe pour la peine ! ». Vers minuit et demi, complètement bourrés, Nicoprez et Hugo continuaient de discuter le bout de gras. Cette fois, Hugo évoquait ses difficultés à finir les travaux de son appart, ses difficultés à trouver le bon béton ciré demi poli pour la cuisine et le bon placo polyuréthane à couche polymorphe pour isoler sa chambre, ce à quoi Nicoprez répondait « oui oui » en attendant de trouver une bonne répartie. Finalement sans répartie, Nicoprez optait pour un « moi c’est pareil avec mon Burgman, je galère grave pour les bougies ! Demain, j’ai RDV avec le chef de l’atelier chez Speedy, je peux te dire que ça va chier ! ». Après un ultime « Elle est pas mal ta doudoune North Face », auquel Hugo ne préférait pas répondre, les 2 amis ne savaient plus trop quoi se raconter. Quand le téléphone sonna, cela avait au moins l’avantage de briser le silence. Malheureusement, c’était Denis… le pauvre était toujours dans le vestiaire 29 de Louis Lumière et se demandait si « avec un tel retard accumulé, l’entrainement aurait bien lieu ». Nicoprez, le cœur sur la main, lui annonçait la terrible nouvelle, et au bout de 20 minutes d’explications comme quoi l’entrainement n’aurait pas lieu, lui proposait de passer à l’Abribus pour une dernière Chouffe. Voyant qu’il était presque 1 heure du mat’, Denis préférait décliner et optait pour un kebab Italo-Sri Lankais à Porte d’Orléans, dont on lui avait dit le plus grand bien.
La soirée s’achevait ainsi, un peu en queue de poisson, surtout lorsque Hugo, tellement bourré, confondit par inadvertance son scoot avec celui de Nicoprez. Ce dernier, lui aussi bourré, menaçait de lui taillader sa doudoune North Face au cutter sous prétexte qu’il ne plaisantait pas avec son Burgman, qu’il était le seul à pouvoir le conduire et que jamais il ne le confierait à personne. Il repartait chez lui sans dire au revoir, en grillant tous les feux et en hurlant des « Je vous ai compris ! » à tous les chauffards qui le klaxonnaient.